L'histoire de Kaoline

Publié le par marie-jeanne garnier

  kaoline
         Kaoline, petite fille de neuf ans, rentrait de l'école, contente de retrouver ses parents après une longue journée de classe. C'était la guerre, le mois d'octobre 1940 venait de commencer.
           Arrivée à proximité de la maison, elle vit des soldats allemands qui emmenaient ses parents. Elle voyait et entendait tout depuis l'endroit où elle était cachée. Elle se dissimula  bien derrière le buisson afin de ne pas être vue malgré le chagrin qui l'anéantissait. 
          -"Où est la petite fille ?", demandèrent-ils avec insistance. Les parents firent mine de ne pas savoir de quoi ils parlaient.
          La voiture démarra, le soldat allemand ayant crié un ordre au chauffeur. 
          Kaoline, toute tremblante, rentra vite à la maison. Elle savait qu'elle ne pourrait pas rester là car ils reviendraient certainement la chercher. Elle prit des vêtements chauds, une grosse couverture et des provisions pour quelques jours.
          Elle s'enfonça dans le sous-bois et marcha jusqu'à la grotte de l'arbre enchaîné. 
          Une légende selon laquelle, autrefois, une sorcière habitait dans la grotte et volait à califourchon sur ce petit arbre, les nuits de pleine lune.
          Certains habitants avaient déclaré qu'ils avaient vu passer la sorcière sur cet arbuste dans un souffle et un cliquetis de chaînes. Elle poussait des cris rauques et saccadés en ricanant devant leurs fenêtres. Personne ne sortait durant ces nuits.
          D'autres personnes l'avaient vue allumant un feu dans un cercle délimité par des cailloux et sur le dessus une grosse marmite dans lequel elle préparait des potions.
          Kaoline s'enroula dans  la couverture à l'entrée de la grotte. Personne ne viendrait la chercher là. Elle était en sécurité. Des panneaux de danger avec une tête de mort dessinée dessus et un fil barbelé délimitaient le secteur, des éboulis se produisant régulièrement.
          Elle savait qu'elle ne pourrait pas retourner à l'école et décida d'explorer la forêt environnante.
          Elle monta jusqu'au sommet de la montagne et là, elle aperçut une cabane devant laquelle un vieil homme était assis. Elle s'approchait doucement sans faire de bruit. Mais le vieil homme, occupé à faire des paniers d'osier, se retourna et lui demanda ce qu'elle faisait là.
          -"Ils ont emmené mon père et ma mère. Et ils viendront me chercher aussi", dit-elle, en pleurant.
          Il lui demanda son nom et où était sa maison. L'enfant était effrayée. Lui tendant un carré de tissu, il lui dit :
          -"Sèche tes larmes, petite fille, tu peux rester ici autant que tu voudras. Avec moi, tu ne risques rien."
          Cet homme avait un grand coeur, il tendit les bras à la petite qui vint s'y blottir. Il lui demanda si elle avait déjà entendu parler de lui dans le village. Il expliqua qu'il ne descendait pas souvent, seulement le premier lundi du mois pour vendre ses paniers à la foire et acheter quelques provisions. Certains le surnomment l'ermite mais il s'appelait Antoine.
           Il l'installa dans une petite pièce au fond de la cabane, lui disant que ce serait sa chambre. Kaoline était ravie malgré sa tristesse.
           Il n'y avait pas d'eau à l'intérieur de la cabane mais il y avait une source non loin de là.
          Kaoline se sentait en sécurité auprès de cet homme qui ressemblait à son papy. 
          Elle apprit vite à faire les paniers. Et, le premier lundi du mois, ils descendirent au village vendre les paniers. Les gens n'avaient pas beaucoup d'argent et ils faisaient plutôt du troc, échangeant un panier contre une demi-livre de beurre, ou contre autre chose, selon le cas.
          Ils vendirent tous les paniers, c'était un bon jour. Les gens demandaient à l'ermite qui était la fillette à ses côtés. Il répondait que c'était une petite cousine qui avait perdu ses parents pendant la guerre et qui était venue se réfugier auprès de lui.
          Avant de remonter sur les hauteurs, ils décidèrent de passer à la maison où habitait Kaoline. Tout était jeté au sol, les matelas éventrés, les armoires vidées. Ils récupérèrent quelques affaires, des vêtements pour Kaoline, une grosse couverture et quelques casseroles. En partant, elle vit la photo de ses parents, l'extirpa des débris de verre et la mit précieusement dans sa poche.
          Lorsqu'ils passèrent devant la grotte de l'arbre enchaîné, Kaoline demanda à l'ermite s'il avait connu la sorcière qui habitait là. Il lui dit qu'il y avait bien eu une vieille femme prénommée Cécile  qui logeait là mais que ce n'était pas une sorcière. Il parlait avec elle chaque fois qu'il la voyait. Les gens du village l'avaient contrainte à l'exil. Chaque fois qu'un malheur arrivait au village, elle était accusée. Elle n'avait pas beaucoup d'argent, était vêtue de guenilles et parlait toute seule, et surtout n'avait pas de toit pour dormir.
          Un jour qu'il descendait de la montagne, il fit un détour par la grotte et vit que la vieille femme avait disparu.
          Il s'enfonça un peu plus dans la grotte et vit des sacs de billets et de pièces entreposés là, partiellement dissimulés sous une bâche.
          Il fit mine de rien et, décidé à savoir qui avait fait ça, il se cacha et fit le guet. Les personnes qui avaient planqué le butin finiraient bien par venir le rechercher.
          Il n'eut pas longtemps à attendre. A la tombée de la nuit, il aperçut trois hommes. Les laissant s'approcher plus près, il reconnut la voix du premier, c'était le banquier. Il fut très étonné mais n'était pas au bout de ses surprises car il entendit aussi la voix du deuxième homme, c'était  le maire du village et le troisième portait un képi mais il ne le connaissait pas. 
          Il entra aussitôt dans la cave que la vieille dame avait creusée dans le sol, et recouvert de branchages pour cacher l'entrée. Abrégeant le fil de ses pensées, il vit qu'il y avait une voiture passant sur la route et ses phares, mal réglés, éclairaient les arbres. Elle s'était arrêtée juste en bas et trois hommes arrivèrent, prirent l'argent et donnèrent des  grandes caisses en échange.  Il n'en revenait pas. Les notables du village étaient des voleurs et des trafiquants.
          Ils cachèrent les caisses sous la bâche et traînèrent un sac qui bougeait. Il y avait sûrement quelqu'un dans ce sac. Ils l'emmenèrent à l'étang, tout près de là. Ils repartirent aussitôt. L'ermite qui avait tout vu, s'approcha de l'eau et plongea, ramenant sur la berge le sac encore fermé. Sortant son couteau de poche, il coupa la corde et ainsi sauva la vie de cette pauvre Cécile. Il l'emmena avec lui en haut de la montagne mais Cécile était très malade. Elle avait encore une soeur dont elle n'avait plus de nouvelle et qui habitait dans le midi de la France.
           Il descendit au village, en urgence, et envoya un télégramme à la soeur de Cécile lui demandant si elle accepterait de recevoir sa soeur chez elle. Quelques jours plus tard, une réponse arriva au bureau de poste. La soeur de Cécile était veuve et elle l' accueillerait volontiers dans sa maison. Le vieil homme se renseigna à la gare. Il y avait justement un car qui s'y rendait le lendemain. 
          L'ermite préféra se taire et nul se sut jamais où était passée la vieille femme. Kaoline, donnant la main à son nouveau papy était très rassurée et très fière de ce qu'il avait fait.
          Le banquier et le maire furent aussi arrêtés par la Gestapo mais ne survécurent pas à l'interrogatoire. Ils avouèrent qu'ils faisaient de la contrebande et qu'ils avaient inventé cette histoire de sorcière pour éloigner les gens de la grotte afin d'avoir les coudées franches.
           Quand la guerre fut finie, elle avait quatorze ans. Elle alla voir à la mairie pour demander s'il y avait des nouvelles de ses parents. La secrétaire regardant les longues listes lui dit que son père était décédé fin 1944 et que sa mère était peut-être encore en vie.
          Kaoline ne fut pas rassurée pour autant. Elle retourna à la maison et remit tout en ordre avec l'aide de son nouveau papy. Ils s'installèrent là, espérant le retour de la maman.
          Trois semaines plus tard, une femme amaigrie se présenta à la porte. Kaoline explosa de joie, se jetant dans les bras de sa maman. Elle était vraiment très faible et il fallait absolument qu'elle retrouve des forces.
          Kaoline soigna sa maman, la chérissant nuit et jour, et lui raconta toute l'histoire. Antoine, l'ermite, était le bienvenu. Il faisait le bonheur de  cette petite famille. Le destin les avait réunis pour ne plus jamais les séparer.
                                                              Marie-Jeanne GARNIER

Publié dans contes

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